Supermarine S.6A

L’Aviation est une jeune centenaire, qui n’arrive sans doute qu’aujourd’hui à l’âge adulte. Elle n’a eu de cesse de s’améliorer ces cents dernières années, avec parfois des périodes de stagnation, et parfois des grandes poussées de sève. On dit que les progrès de l’Aviation ont surtout été le fait des appareils militaires, et qu’avec le temps ces avancées motivées par le besoin de taper sur son voisin ont pu être bénéfiques à l’Aviation civile. Dans la plupart des cas, cela est vrai, et les trois grandes guerres, les deux Mondiales et la Froide, sont là pour nous le prouver.

Pour autant, cela n’a pas toujours été exactement le cas. Il est ainsi possible de trouver, en cherchant bien, quelques exemples d’histoires où les progrès enregistrés par des avions « civiles » ont grandement contribué à améliorer leurs grands frères à cocardes d’une manière plus que significative. Un de ces exemples est la fameuse Coupe Schneider, et une de ces illustrations est le Supermarine S.6.

Jacques Schneider était un riche industriel français passionné par les choses de l’Air, et lui-même aérostier. Il décide en 1912 de fonder la Coupe Schneider sous le patronage de l’AeroClub de France. Il s’agissait d’une course en circuit fermé pour hydravions, dans le but d’améliorer leurs performances et leur fiabilité, à une époque où l’on pensait que le futur de l’aviation commerciale était ces engins mi-flottant, mi-volant. Le but était simple : chaque pays engageait ses avions, que le plus rapide gagne, et le Trophée reviendra définitivement la propriété de celui qui remportera la Coupe trois éditions d’affilée. La Coupe se déroulait dans le pays vainqueur de la précédente édition.

La première compétition eut lieu à Monaco en 1913, à laquelle participa un certain Roland Garros, sur un hydravion qui n’était autre qu’un avion des plus classiques pour l’époque, auquel on avait rapidement fixé une paire de flotteur. Le vainqueur, un Français, remporta la course à la vitesse – aujourd’hui risible – de 73.5 km/h. La Grande Guerre passa, la Coupe fut interrompue le temps que les rancœurs retombent et on en revint enfin à s’expliquer entre gentlemen aux commandes d’avions de plus en plus profilés, et de moteurs de plus en plus puissant. Bien que souvent pilotés par des militaires, ses avions n’en restaient pas moins des pures machines de courses, sans aucune vocation guerrière. Des designs uniques dus au génie de quelques constructeurs inspirés. Des Reginald Mitchell, des Mario Castoldi, des Glenn Curtiss, des Adolphe Bernard. En effet, la coupe se disputa exclusivement entre Anglais, Italiens, Américains et Français, alors à la pointe des machines volantes.


Les « aéroplanes à flotteurs » laissèrent la place aux hydravions à coques, qui eux-mêmes cédèrent le pas aux véritables bêtes de courses, dessinées pour l’occasion pour offrir le maximum de puissance dans le minimum de section frontale, pour limiter la trainée. Le premier du genre fut le Curtiss CR3, qui permit aux Américains d’apporter la Coupe chez eux en 1925, et de la regagner une seconde fois grâce à un certain Jimmy Doolittle. Les Italiens leurs emboîtèrent le pas avec le Macchi M.39 et ramenèrent la compétition à Venise en 1927. La compétition se déroula alors uniquement entre les Anglais et les Italiens, alignant chacun des pur-sang comme le Macchi M.52, le S5 et leurs petits frères le Macchi M.67 et le Supermarine S.6B dont il est ici question. Dessiné par Reginald Mitchell, il est le dernier d’une lignée d’avion aux lignes pures, qui commença avec le S4. Dépouillé à l’extrême, il n’en reste pas moins incroyablement stylé. C’est le S.6B qui donna définitivement la victoire aux Anglais en 1931, à la vitesse record 547.6km/h, soit presque huit fois la vitesse de 1913. Le record fut porté à 610km/h par le même avion en dehors de la Coupe, et fut enterré par le Macchi M.C.72 qui l’établi – fort de ses deux moteurs d’une puissance totale de 2800CV – à 709km/h en 1934. Record absolu pour un hydravion à moteur à piston, qui tient encore de nos jours. Sans doute un des plus vieux records dans l’histoire de l’Aviation. Ce qui était d’autant plus impressionnant, c’est que malgré l’apparent handicap en traînée des deux flotteurs, ces avions étaient de loin plus rapides que n’importe quel avion de chasse de l’époque. Plus prosaïquement, il s’agissait juste des machines les plus rapides du monde. Le premier homme à avoir dépasser les 500km/h l’a fait pendant une Coupe Schneider.

Une simple course ? Certainement pas. On ne multiplie pas la vitesse par un facteur huit uniquement par pur plaisir sportif. Elle devint vite un enjeu national, dans une période où l’on sentait bien que celui qui maîtrisait le ciel maîtriserait bien d’autres choses. Ce qui explique d’une part pourquoi les états-majors la suivait de près, et d’autre part pourquoi le public assistait massivement à ces évènements, agglutiné le long des plages. Elle n’en restait pas moins une simple course, avec ses règles classiques : la victoire, la défaite, l’abandon, la disqualification. Et pour éviter les trois dernières, les constructeurs redoublèrent d’innovation et de d’astuce, aux fur et à mesure qu’ils se confrontaient à de nouveaux progrès techniques.


Pour la Coupe Schneider, ils apprirent à construire des moteurs de plus en plus puissants, tout en améliorant leur rendement et leur fiabilité. Le moteur du S.6 avait été mis au point par un certain Henry Royce, vieux copain de Monsieur Rolls (mort aux commandes d’un avion quelques années auparavant), et développait déjà 1900ch en 1929, quand le chasseur le plus moderne de la RAF n’en avait que 510. Elle relégua aussi rapidement les moteurs à refroidissement par air aux oubliettes, au profit des systèmes à refroidissement liquide bien plus compacts et aérodynamiques. Elle obligea également à passer à des hélices en métal aux formes complexes, capable d’encaisser des vitesses en bout de pales très importantes. Les concepts d’avions biplans fut vite remplacé par celui du monoplan à aile cantilever, bien plus efficace, à condition de maîtriser la technologie des matériaux pour réaliser une aile suffisamment rigide et légère. Enfin, les derniers avions de la Coupe, princes de vitesse, furent les premiers à se confronter aux problèmes de compressibilité de l’air que l’on rencontre à ces vitesses. La leçon fut apprise ‘the hard way‘ après la perte du Supermarine S4 après ce qui semblerait être un flutter d’ailerons. On appris donc à équilibrer les commandes pour éviter ce problème, et à rendre les formes toujours plus aérodynamiques, jusqu’à arriver à la perfection des courbes du S.6.

Très bien, mais en quoi cela a-t-il contribué aux machines militaires ? Et bien cinq ans après la victoire du S.6, Reginald Mitchell dessina un autre avion aux lignes parfaites, propulsé par un moteur Rolls-Royce en ligne à refroidissement liquide, et bénéficiant de toutes les améliorations qui avaient permis la victoire de 1931. Cet avion est bien plus connu que son grand-frère, en particulier grâce à son heure de gloire en 1940. Je parle évidemment du Spitfire, digne successeur du S.6, les mitrailleuses en plus. De son côté, Macchi produira les C.202 Folgore et C.205 Veltro, sans doute les deux meilleurs chasseurs italiens de la Seconde Guerre, et Curtiss sortira le fameux P-40.

Une belle histoire, vieille de presque 80 ans, qui est l’une de ces périodes uniques où se croisent de grands destins, et dont il ressort des machines incroyables de puissance, mais aussi d’élégance. Malheureusement les survivants sont rares – hommes et machines – et l’exemplaire du S.6A présenté ici, N.528, est conservé au Solent Sky – Hall of Aviation de Southampton. Le S.6B vainqueur de 1931 est quant à lui présenté au Science Museum de Londres. Quelques Macchi survivent en Italie, et un Curtiss à Washington. Quoi qu’il en soit, leurs lignes n’ont pas pris une ride et continuent de faire rêver.

PS : Pour ceux qui apprécient ce genre de machines, je recommande chaleureusement la visite du blog de Laurent, Speedbirds.

6 commentaires

  1. faut il mieux se poser des questions ou raconter des histoire jusque plus soif ?
    Alors voilà Henri je te présente tonton Robin, il va te parler des avions et des macs… (les parents s’eclipsent…).
    IDEE : ça te dirait babysitter 😉

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