Quand la Pomme prend l’air

Qu’est ce que le leader mondial des avions commerciaux et le leader mondial des baladeurs MP3 ont en commun ? Y a-t-il un lien entre les commandes de vol électriques d’un A320 et un Macintosh ? D’une certaine manière, oui. Les deux résument une volonté du constructeur de faciliter la vie à son utilisateur, pour deux raisons différentes. Le premier, pour faire un produit plus sûr, le deuxième pour faire un produit plus accessible. Donc au final la même raison : en vendre plus. Qu’adviendrait-il si l’un venait à discuter avec l’autre ?


Ergonomie est un mot relativement récent. Un mot d’après-guerre, porté par la course à l’efficacité, à la sécurité et à l’informatisation qui a tout régit depuis. Il est arrivé sur la scène avec ses petits copains « facteurs humains », « cognitif« , « interface homme-machine« . L’ergonomie, c’est l’étude du lien qu’il peut y avoir entre un humain et ses outils, et par extension, la science qui permet de concevoir des systèmes pratiques, confortables et facile à utiliser.

Si ce processus peut nous paraitre naturel aujourd’hui, il n’en a pas toujours été ainsi. Après guerre, on vit apparaitre un certain nombres de systèmes devenant de plus en plus complexe, surtout dans le domaine militaire, et pouvant amener à des catastrophes d’ampleur. Le nucléaire en particulier, mais aussi les avions de combat. Les postes de travail ont vite été surchargés d’informations, de cadrans, voyants et autre boutons (comme l’illustre le cockpit du bombardier B-52 ci-dessous). Surcharge jusqu’au moment où, pour une raison ou une autre, l’opérateur ne peut plus faire face à la quantité d’informations, ou laisse passer une alarme critique, et boom.

Alors on a essayé de comprendre comment fonctionnait l’humain, quelles étaient ses facilités, quelles étaient ses limites, et on a essayé de faire en sorte que les postes de travail se simplifient, que le rôle de l’opérateur se recentre sur l’essentiel, ce sur quoi il est irremplaçable : la capacité de décision. C’est comme ça qu’on a vu les pilotes passer du statut de héros ailés à écharpes blanches à celui de gestionnaires de paramètres. Le but du jeu était d’améliorer la sécurité des systèmes, de manière à faire en sorte qu’un évènement critique ne puisse plus arriver. En général, le confort de l’opérateur – le pilote pour ce qui nous intéresse aujourd’hui – en a été grandement amélioré. En effet de grandes études avaient amené à constater que plus l’humain était à l’aise, et non stressé, moins il commettait d’erreur. Sans blague ? Alors on limita le nombre de cadrans, on automatisa, on synthétisa l’information, on multiplia les alarmes, et les alarmes d’alarmes, de manière à dégager le pilote des tâches de bas niveaux et à lui donner une image la plus simple possible de l’état de son système – son avion dans le cas qui nous intéressent.


Evolution du cockpit du F-16 © USAF

D’ailleurs il est bon de noter que les premiers à avoir bénéficié de ce genre de raffinement ne furent pas les pilotes, mais les astronautes, pour une simple et bonne raison : on ne pouvait pas multiplier à l’infini le nombre de personnes dans la capsule, car chaque kilo à envoyer en orbite coutait une véritable fortune. Alors on développa les microprocesseurs, les écrans etc., de manière à ce qu’un équipage de trois personnes puisse emmener une capsule sur la Lune et en revenir. Le même principe a ensuite été décliné dans les avions civils, quand les compagnies se sont rendues compte qu’avec un peu d’électronique, on pouvait se limiter à trois puis deux personnes dans le cockpit pour mener tout un tas de personne d’un point A à un point B. Deux personnes, donc deux salaires. Intéressant. De fait les constructeurs comme Boeing, McDonnell Douglas et surtout Airbus ont dépensé beaucoup d’argent pour rendre leurs avions faciles d’emploi, et limiter le nombre de personnes dans le cockpit. Le navigateur fut la première victime, puis vint le tour du mécanicien navigant, tous les deux remplacés par des écrans qui affichent désormais la position de l’avion au mètre près sur une carte pour l’un, et des paramètres moteurs ou des circuits hydrauliques en vert et rouge pour le second. Airbus poussa le bouchon jusqu’à supprimer le manche à balai – « control column » en anglais, terme lourd de sens – d’entre les jambes du pilote . Presque un symbole de castration ! Les ingénieurs, forts de leur système de commande de vols électriques qui enlève tout lien physique entre les commandes et les gouvernes, ont remplacé le manche par le side-stick, une espèce de petit joystick sur le côté, qui permet de piloter avec deux doigts et sans transpirer. Coup de grâce pour l’épopée héroïque de l’aviation !


Evolution du cockpit du 747 © J.P. Marini & Arlanda Aviation Photographer

Dans un toute autre registre, l’ergonomie à fait son apparition dans un domaine « grand public », pour des raisons complètement indépendantes des notions de sécurité, ou d’efficacité. Pourtant la racine du problème est la même : les systèmes mis à disposition du grand public gagnent en complexité chaque jour, là encore à grands renforts d’électronique. Hors si on va prendre 2 ans pour former un pilote, on ne peut pas se permettre de mettre plus de 2 heures pour former un utilisateur d’appareil photo, de téléphone ou d’ordinateur. Il faut que ça marche tout de suite. « Pas besoin d’être sorti de Saint Cyr pour comprendre comment ça marche » devient un argument de vente. De fait les grands noms de l’électronique et du logiciel ont eux aussi vite compris que ce qui pourrait faire la différence entre un produit A et un produit B – virtuellement identique en terme de fonctionnalités – pouvait être la facilité d’emploi.

Une des entreprises du domaine à avoir compris cela dès le début est Apple. Dès 1980, Apple avait compris qu’un écran noir de console avec juste un clavier était d’un usage absolument rébarbatif, et que les gens ne voulaient pas d’un objet ennuyeux. Alors en 1983, rachetant à bon prix un brevet délaissé par Xerox, Apple invente le Mac, avec son interface graphique d’une part et surtout la fameuse souris. Deux éléments qui paraissent aujourd’hui d’une évidence notoire. Mais à l’époque, on sortait à peine des programmes sur cartes perforées. Microsoft ne raccrocha les wagons que deux années plus tard avec le premier Windows. En parallèle, Apple continua d’améliorer son concept, a un tel point que le Mac était presque considéré comme un ordinateur jouet, juste bon à amuser quelques poètes ou artistes incapables de faire une addition, alors que le PC, ça Monsieur, c’était un vraiment ordinateur d’hommes qui sait ce qu’il a sous le capot. Oui mais voila, aujourd’hui ou plus personne n’est capable de vraiment savoir ce qu’il y a sous le capot, les parts de marché du Mac explosent…



Quelques années plus tard, Apple réinventa le baladeur, en surfant sur la vague d’Internet et du téléchargement. Le bon vieux Walkman et ses cassettes était relégué aux oubliettes, le nouveau son ambulant avait un nom : iPod. L’iPod n’était pas le seul baladeur MP3 sur le marché, loin s’en faut. Mais il avait un gros avantage sur la concurrence : simplissime ! Un écran et un seul gros bouton, la « ClickWheel » qui permet de tout faire. Tourner votre pouce dans un sens sur la ClickWheel, et vous vous baladez dans les menus, augmentez le son, faites défiler les titres. Simplissime. Et ce sont les quelques milliers de dollars utilisés à développer cette ClickWheel qui ont portés Apple aux premiers rangs des baladeurs MP3, au point qu’aujourdhui Apple fait la pluie et le beau temps sur le marché de la mémoire flash.

Dernièrement, enfin, Apple sortait l’iPhone et son petit frère l’iPod Touch, avec leurs écrans tactiles révolutionnaires, qui savent gérer plusieurs appuis simultanément. A n’en pas douter, ce genre de technologie est appelé à un grand avenir, car elle fait appel, comme la souris ou la ClickWheel à un concept simple et efficace : les deux choses que fait l’humain le plus facilement, c’est interpréter une image (plus qu’un texte) et manipuler des objets.

Tout ceci étant dit, on arrive aujourd’hui à un point où, pour des considérations uniquement concurrentielles, l’informatique grand public a une longueur d’avance sur l’informatique professionnelle en terme d’ergonomie. Au profit de la première, elle n’est pas soumise à des critères de fiabilité comme la seconde. Une banque n’a que faire de savoir que son logiciel de gestion est le plus pratique tant qu’il marche 24h/24 et 365j jours par an. Et ceux qui ont mis les doigts sur SAP auront une vague idée de ce quoi je parle. Oui mais voilà, l’informatique embarquée, celle qui s’affiche dans les cockpits, doit être à la fois fiable ET pratique. De fait, les deux mondes ont tout intérêt à se rejoindre, et ceux qui me connaissent savent que ça fait déjà quelques temps que je dis que les petits génies d’Airbus devraient laisser jouer les petits génies d’Appledans un de leur cockpit pour voir ce qu’il en ressortirait. Bien sûr tout ne serait pas acceptable, car on ne peut pas forcément remettre en cause 100 ans de retour d’expérience aéronautique, mais on peut parier qu’il pourrait en ressortir plein de bonnes idées. A fortiori quand on sait que le meilleur moyen de creuser l’écart vis à vis de la concurrence, c’est d’avoir recours à une rupture technologique.


© Airbus

Le but de ce billet n’était pas de vous faire un cours magistral sur ce qu’est l’ergonomie, mais de vous annoncer une bonne nouvelle. En effet, Apple et Airbus ont décidé en septembre dernier de se rapprocher pour échanger sur leur savoir-faire commun en terme d’interfaces homme-machine. Gageons que cette collaboration sera fructueuse pour les deux parties, même si celui qui a le plus à profiter du résultat sera sans doute Airbus. A quand un Airbus Touch ?


© Original par Stephane Beilliard

Voir l’article sur MacGeneration

5 commentaires

  1. oui encore faut il vouloir acheter une VW… et un Rbus…

    à ce propos Robin, je croyais que les mecs qui faisaient des avions de pilotes c’était les voisins de Mac… du coin de Seattle, et que les toulousaings ils faisaient des avions d’ingés…
    remarque, si c’est ça Mac va leur faire du bien et relooker leurs têtes de professionnels d’UNIX mâtinés à la sauce Forgeard 😉

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