Le réveil est devenu le moment privilégié pour faire le bilan de santé : je compte 41 piqures de sand flys, Quentin se refuse à compter les siennes, sachant que la guerre contre ces petites bêtes vicieuses n’est pas finie et surtout déjà perdue. Ce qui s’annonce comme une longue journée de route commence en fanfare par un réveil matin unique au monde : le Shotover Jet.
Situé juste au nord de Queenstown, la Shotover est une rivière étroite qui s’écoule en rapides jusqu’au lac Wakatipu qui borde la ville. Depuis les années 70, une bande de furieux opère une flotte de jetboats sur une partie de la rivière sur laquelle ils ont l’exclusivité. Le jetboat est une invention locale, sorte de bateau à faible tirant d’eau et propulsé par d’énorme turbine comme un jetski. Le résultat est une petite bombe aquatique, capable de remonter n’importe quel cours d’eau, de virages en grande glissade, de 360° sur place, la bagnole de rallye aquatique, bref une usine à sensations fortes. Après quarante ans d’exploitation et plus de trois millions de passagers émoustillés, autant dire que les pilotes des jetboat connaissent le parcours par cœur. Et ils vous le font bien comprendre.
Nous ne somme que six à bord sur les seize places disponibles et la bestiole accélère comme une fusée. Tous les virages sont négociés à quelques centimètres (littéralement) des parois rocheuses à une vitesse qui dépasse la raison. Encore plus de sensations de « ca ne va pas passer » que dans un grand huit, sauf que là nous ne sommes pas sur des rails, et que tout dépend de l’adresse de notre pilotes, qui joue du volant et de l’accélérateur à pied pour négocier les virages qui s’enchainent à un rythme infernal. Quand l’envie lui en prend et que la place est suffisante (c’est à dire un mouchoir de poche), il nous gratifie d’un 360° qui vous colle au siège. Après s’être bien amusé pendant une demi-heure, il nous ramène à quai, bien décoiffés, un peu mouillés, et complètement abasourdis. C’est franchement un truc à faire pour quiconque passerait dans le coin.
Nous nous remettons de nos émotions et reprenons la route. Milford Sound n’est qu’à 70km à vol d’oiseau mais il en faut près de 300 par la route. Nous quittons la région de Queenstown en longeant le lac Wakatipu. J’en profite pour écrire quelques lignes du journal pendant que Quentin tient le volant. Nous passons Matapouri et son lac, et arrivons à Te Anau, point d’entrée du Fiordland National Park.
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Milford Sound est un des seuls fjords accessibles de ce parc gigantesque, inscrit au patrimoine de l’UNESCO, gros comme deux départements français et pour sa majeure partie complètement vierge. Creusés à l’époque glacière, une quinzaine de fjords découpent cette partie extrême de l’ile du Sud. La végétation et le relief y sont quasi impénétrables. Ce n’est qu’à l’initiative du gouvernement lors de la Grande Dépression des années trente qu’un projet de route vers Milford a été lancé pour créer du travail. Le chantier a pris plus de vingt ans à aboutir ainsi que la vie de pas mal d’ouvriers. La route vers Milford, Road 94, fait partie de ces routes mythiques qui valent d’être parcourue pour le décor même s’il n’y a rien au bout. Et pour le coup, au bout de celle-ci il n’y a pas vraiment grand chose, si ce n’est le fjord à parcourir en bateau, kayak, avion ou hélico. Pas vraiment d’hôtel, pas vraiment de restaurant, tout juste un camping.
La route fait défiler les paysages, des plaines de red tussocks aux reflets dorés qui s’étendent à perte de vue, des pentes vertigineuses qui nous entourent, des lacs miroirs, de grandes forêts, des sommets enneigés, des glaciers, toute la panoplie y passe. Difficile de retranscrire en mots ou en photos la dimension, l’échelle du décor. La route remonte la vallée jusqu’à un grand tunnel d’un kilomètre qui permet de rejoindre la vallée de Milford. Signe distinctif, le tunnel est en « one lane » et en pente à 12% ! La sortie du tunnel déboule en plein milieu d’un amphithéâtre complètement minéral, les sillons serrés de la route découpant des allées à travers les gradins qui donnent sur le fjord.
Nous arrivons finalement au panneau « End of the Road » alors que le soleil se couche derrière Mitre Peak, montagne symbolique du parc et de la Nouvelle-Zélande. Il était de bon ton de réserver le camping car il est plein. A peine avons nous garé le camper qu’une horde de sand flys entourent déjà le van et se collent aux fenêtres. N’ayant aucune envie de dépasser le stade des cinquante piqûres, nous courons jusqu’aux cuisines et finissons la soirée autour de quelques crêpes. Evidemment le pot de Nutella qui trône sur la table attise les convoitises comme la chair fraîche attire les sand flys et nous croisons ainsi trois françaises qui passaient par là. Mais il faut se coucher tôt car demain le programme commence à l’aube.
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