Enfin une nuit d’une traite. Voire une nuit trop longue. Réveil prévu 5h30 pour aller chercher les lumières du levant. Le réveil sonne à l’heure dite, je me réveille, coupe la sonnerie, et réouvre les paupières 1h30 plus tard… Bon, on va dire que je suis remis du décalage horaire pour de bon, et que j’en avais besoin. Cette nuit pas de pluie, pas d’ours, pas de problème. Au réveil (le vrai), ciel dégagé. Bon, ben pour une fois qu’il y avait une réelle occasion de beau lever de soleil, je l’ai bien loupé.
Je dégage sans trop tarder quand même histoire de voir si je peux attraper un moose sur Oxbow Bends ou sur Willow Flats, le long de la Snake River. Des pélicans, des oies, des cormorans, mais pas de moose Je prends la route de Jenny Lake avec plusieurs étapes : Jackson Lake Dam pour le point de vue, Chapel of Sacred Heart pour le petit dej en bord de lac, Signal Mountain pour ravitailler titine et bibi. La route vers Jenny Lake face à la chaîne des Tetons est superbe avec le soleil dans le dos. La Lune, pleine il y a quelques jours, descend gentiment sur les reliefs. Je l’attrape alors qu’elle part juste se coucher.
Pas un nuage à l’horizon, ça va chauffer dur aujourd’hui. Je passe par le «Scenic Drive» au nom un peu galvaudé et arrive sur Jenny Lake, parking plein. Aux Etats-Unis c’est quand même rare de tourner dans un parking pour trouver une place. Je prépare le sac à dos et vais prendre le bateau qui fait traverser le lac en 10min et gagner 1h de marche. La traversée constitue un sas sympathique vers le monde des Tetons, il vous dépose au pied du mur. Vous commencez par 200m de dénivelé quasi en surplomb du débarcadère en passant les chutes de Hidden Falls et le «Inspiration Point» local, avec une belle vue sur le Jenny Lake et la plaine. Mais en contrejour pour le moment, on s’en occupera au retour.
Il est déjà 11h et vu que ça va taper, je décide de me crémer, cherche la crème dans le sac bien encombré par les sandwichs / objectifs/ antimoustiques/ plans etc. et rage de ne rien trouver. J’ai du l’oublier dans la voiture, de l’autre côté du lac. Trop bête. Tant pis on y va comme ça. Cascade Canyon est une vallée Est creusée par une rivière glacière entre le massif de Grand Teton et de Teewinot au Sud, qui vous surplombent tout au long de la ballade, et du Mt St John au Nord. Quand je dis surplombe, je pèse mes mots. Grand Teton domine à 4200m et les autres sommets dépassent au moins les 3500m. Le sentier suit la rivière sur 5-6km et les paysages sont superbes tout du long. C’est assez encaissé et l’effet de profondeur au sein de ces falaises et parois escarpées le long desquelles coulent des cascades est assez saisissant. Le bruit de la rivière vous accompagne en permanence. Le chemin peut vous amener jusqu’à Lake Solitude mais c’est une trotte de plus de 20km aller-retour. Vu mon timing très en avance du jour, ça risque d’être délicat. On avisera.
Le plus beau sur ce sentier, c’est que vous êtes en pleine wilderness et que vous aller croiser pas mal de bipèdes mais aussi quelques quadrupèdes. Petit aparté sur un mot que je viens d’utiliser : wilderness. Ce n’est pas par effet JCVD que je le glisse au milieu de ma phrase, mais simplement qu’il n’a pas d’équivalent français. Au mieux on approcherait cela par étendue sauvage. Idem pour wildlife et la vie sauvage. Mais sauvage a désormais une connotation « violente » en français qui me déplaît. Non domestiqué serait plus approprié, mais toujours pas parfait. Tout cela est symptomatique. Cette notion qui manque au vocabulaire de Molière, qu’on approche tant bien que mal avec une périphrase, vous saute aux yeux là-bas. Vous êtes au beau milieu de quelque chose de bien plus grand que vous et c’est à vous de vous adapter à la nature.
Au détour d’un virage du sentier, une masse sombre bouge dans les herbes hautes en contrebas, près de la rivière. Je distingue vite les bois qui dépassent, ce n’est pas un ours, mais un élan, ce fameux moose qui se faisait attendre depuis quelques jours. C’est une jeune adulte. Petite séance photo en jouant à cache-cache avec les arbres et je la laisse tranquille. Vingt minutes plus tard, je rattrape un couple dont la dame est un peu en panique et me raconte qu’ils viennent de voir deux ours traverser juste devant eux il y a une minute, descendant côté rivière. Marchant plus vite qu’eux, je les dépasse, et pour rire et braver le sort, je leur dis qu’en marchant devant je leur servirai d’éclaireur si les deux ours remontraient le bout de leur truffe. Bon, vu le monde sur le sentier, je ne suis pas trop inquiet, mais quand même, ce bear spray… Alors que je réfléchi à tout ça, un bruit de buisson me ramène froidement à la réalité. Il est là, à moins de dix mètres du chemin. Je l’ai vu avec qu’il ne lève le nez, mais son copain posté vingt mètres plus loin, m’observe déjà. Je reste un peu bête, ne sachant pas trop quoi faire. Prendre une photo en silence, faire du bruit, partir en courant ? Un peu de tout. Je tente une photo mais c’est le grand angle qui est monté. Je tape des mains pour me signaler et ne pas les prendre par surprise. Le plus près lève finalement le nez et me regarde comme le non-évènement du siècle. Je vois des gens arriver des deux côtés du sentier, dont le couple en question, tente de les avertir et puis je finis par déguerpir, finalement pas si rassuré que ça. Un peu trop près ce coup ci. Mais eux avaient l’air bien tranquille. Je les vois s’éloigner vers la rivière.
En chemin, je préviens les gens que je croise d’être vigilants. Les ours finiront bien par remonter, à moins qu’ils ne traversent sur l’autre versant de la vallée. Plus loin, en arrivant vers 2400m, je croise quelques marmottes à ventre jaune beaucoup moins timides que leurs cousines européennes. Je me rafraîchi en trempant la casquette dans l’eau glacière et ça fait un bien fou. J’arrive à Canyon Fork vers 13h, et cela fait un bon endroit pour manger mon sandwich au pastrami. Quelle grande idée d’avoir acheté ça ! C’est tellement salé que vous avez envie de boire la rivière entière après cela. J’avais prévu 1.5L, ce qui me paraissait beaucoup au départ et bien peu désormais. Il est temps de faire un point sur la suite des hostilités. Il me faudrait trois heures pour faire l’aller retour à Lake Solitude, qui termine la vallée à plus de 2800m d’altitude. Comptant deux heures pour redescendre, ça ne va pas le faire pour attraper le dernier bateau à 18h. En plus sans eau et sans crème, c’est un peu con, et je ne suis pas sur d’avoir la distance dans les jambes. Je pousse quand même un peu plus loin pour avoir une vue sur la vallée vers Lake Solitude, recroise quelques marmottes et trouvent deux élans, une femelle et un jeune, en train de se reposer à l’ombre dans un coin du sentier.
Il est 14h passé, je prends le chemin du retour. Le soleil a tourné avec moi, je l’avais dans le dos pour montée et je l’aurai dans le dos pour redescendre. Je sens les mollets qui commencent à chauffer et repasse en mode «pantalon». Par contre pas de quoi couvrir les bras, qui rôtissent gentiment. Pas d’ours ni de moose sur le chemin du retour et ça chauffe effectivement pas mal, je commence à sentir la fatigue. Une bonne idée de ne pas avoir poussé plus loin. Près d’Inspiration Point, je craque et vire les chaussures pour mettre les pieds dans l’eau de la rivière… très fraîche. Mais les pieds apprécient. Je me rince le visage, mouille la casquette une dernière fois et redescend ensuite jusqu’à l’embarcadère.
Je sens les bras qui chauffent un peu, et je n’ai plus d’eau. Je rêve de m’asseoir à l’ombre avec une glace. Le bateau nous ramène, c’est déjà bien d’être assis. Arrivé au parking je me jette sur le magasin, ressort avec un cône au chocolat et une bouteille de Moutain Dew que j’avale à toute vitesse. Je regagne la voiture qui a cuit en plein cagnard toute la journée. Je remets des chaussures plus confortables et part en repérage pour le lendemain, vers Mormon Row et Shwabacher Landing, qui sont deux spots « carte postale » incontournables du parc. La plaine est superbement éclairée. Je trouve la fameuse ferme mormone historique assez vite, sur Antelope Flats. Un troupeau de bisons paît tranquillement à proximité. Je repère un peu les lieux, je repasserai là demain matin quand la lumière sera bien orientée vers la ferme et les Tetons. Je remonte tout Mormon Row, une piste de 5 miles, pour voir ce qu’il y a voir : absolument rien. Je récupère une route desserte, une longue ligne droite. Frustré des dix dernières minutes à avoir dû rouler au pas, j’en profite pour pousser titine qui monte déjà difficilement à 100mph. Bon, on ne va pas aller chercher plus loin. Je récupère la route principale et scrute l’entrée de la route pour Shwabacher … qui s’avère fermée à la circulation. Bon, je pense qu’on fera sans, entre les vues depuis Oxbow Bends et le barrage, ça devrait suffire. Au loin dans la pleine, une femelle wapiti se ballade.
C’est un peu le souci de Grand Teton NP, c’est qu’une fois qu’on a fait la photo de cette magnifique chaîne de sommets, et bien on refait toujours un peu la même photo, seule le premier plan change ! La route du retour me fait sortir du parc pour y revenir plus tard. Je roule en suivant deux jolies blondes dans une Saab cabriolet, par une superbe lumière dans le dos. Je sens bien que le soleil mord sur les bras, j’ai dû prendre un peu plus que prévu. Arrivé à Moran Junction, je cherche ma carte NPS, que vous devez montrer au Ranger de service pour rentrer dans le parc. Je ne la trouve pas dans le portefeuille et fouille en vitesse dans mon sac à dos derrière le siège. Première chose qu’il en ressort : le tube de crème solaire, qui était aller se ficher dans une poche improbable. Je peste d’être aussi bête et retrouve finalement ma carte. Arrivé à Colter Bay, je quitte les filles qui continuent sans doute sur Yellowstone, et passe directement par la case Douches + Laverie. En attendant que ça sèche, j’en profite pour écrire ses lignes…
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